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samedi 28 septembre 2019, par clf

Pictème et pictosphère
1996
maj février 2020

Ce texte actualise un travail de recherche doctorale Le François C. (96). " Pictème et pictosphère ". La même chose, mais différemment : pour une approche de la récursivité en arts plastiques. Thèse de doctorat, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Fascicule n°9, pp 36-39. Voir ce lien.

Un pictème se constitue d’un ensemble restreint d’indications, explicites ou non, désignant une articulation entre quatre registres : l’intention artistique, une réalisation, une présentation et la conservation de quelque chose. Une pictosphère regroupe tout ce que le pictème génère à partir de ses règles formelles mais également tout ce que l’esprit propose comme jet d’imaginance (l’activité non contrôlée de l’imagination, Wicker M.-D. (90). L’usage de la notion de série poserait problème car elle exclut les anomalies susceptibles d’être générées. Cela suppose d’être attentif à ne pas se laisser manœuvrer par une "loi de clôture" qui uniformise les selon les codes disponibles (Erhenzweig A. L’ordre caché de l’art. Tel Gallimard, Paris, 1974, [1967], p 74) et des classements établis (Barthes R. Critique et vérité, Paris, Seuil Tel quel, 1966, p.45).



Plutôt que de tenter de concevoir la pratique à partir d’un registre général de signes arbitraires, complété du registre des opérations applicables, il semblerait plus efficace d’isoler du processus des segments élémentaires disposant d’une certaine stabilité et d’une fréquence d’apparition.

Les mots lexème, morphème, ou encore sème, utilisés par ailleurs, indique cette idée d’une forme minimum, libre ou liée à une autre forme, et douée d’un sens. Une idée à laquelle s’ajoute celle de racine, si l’on y voit des unités irréductibles.

René Thom [1], réfléchissant sur cette question, mais à propos de la danse, se demande s’il ne faut pas appeler ces portions repérées du processus, des chréodes élémentaires (des "chemins obligatoires") ; des portions qu’il s’agirait d’isoler et d’individuer, à partir de quelques hypothèses de base.

Soit le mot pictème, pour désigner une unité minimale d’activité picturale. Le pictural, rappelons-le, est un terme générique, désignant un genre, à partir duquel se constituent des expériences singulières, à partir d’une forme minimale qui articule les trois registres d’activité imbriqués [fabriquer], [présenter] et [conserver]. Un pictème se constitue d’un ensemble restreint d’indications désignant une articulation entre ces 3 registres.

Par exemple :
- Pictème 1 : [Peindre des portraits] [Les faire encadrer et les placer au dessus de son canapé] [Les léguer à ses enfants]
- Pictème 2 : [Peindre des portraits] [Les faire encadrer et les placer au dessus de son canapé ; reconstituer cet environnement dans une galerie d’art contemporain] [Conserver une trace photographique de l’installation ; détruire les portraits].

On comprend qu’une configuration matérielle donnée, si elle n’est pas éclairée par un contexte et une intention, n’est pas visible (cela veut dire que l’on ne pourrait plus se contenter seulement de l’objet peint, ou de l’objet "déclaré", mais qu’il serait nécessaire d’inscrire l’événement par le biais documentaire). C’est l’articulation intentionnelle des trois registres qui précise ce que pourrait être l’intention artistique - ce qui ne veut pas dire que l’intention, seule, compte, ou que la déclaration d’appartenance d’une production à la classe logique "œuvres d’art" suffise. Il s’agit également de produire des artefacts en concordance plastique avec cette intention ; et cette concordance est complexe à apprécier ou, plutôt, à anticiper pour le regardeur). [2]

Mais on comprend, aussi, qu’un pictème n’est qu’un point de départ, à partir duquel se développerait une infinité de situations. Lorsque nous parlions de racine, plus haut, cela indiquait un ancrage, mais cela suggérait aussi l’idée d’un développement. Un pictème constituerait, en quelque sorte, un processus embryonnaire. Ce serait une forme potentielle, mais une forme dont le développement serait lié à un contexte de mise en œuvre proposant ses matériaux.

Du coup diverses formes sont susceptibles d’émerger à partir d’un même pictème. Nous proposons d’appeler pictosphère l’ensemble des propositions formées à partir d’un pictème.

Cela entraîne diverses remarques. Différentes pictosphères sont susceptibles de coexister avec indifférence, de se croiser et de se confronter. Les conditions que l’on se donne, pour explorer un pictème, définiront la forme de la pictosphère (cette remarque aura des répercussions sur la notation plastique, puisque les spécifications indiquées définiront la marge de manœuvre de l’interprète et, du coup, la forme de son interprétation). Le modèle employé pour structurer ces réflexions, dans l’idée d’une progression de la construction d’un espace à partir d’un processus embryonnaire est sans doute surdéterminé par l’idée de phylogénèse. La notion de limite paraît également activer la pensée, mais selon deux acceptions, qui renvoient à ce que formule Virilio, lorsqu’il oppose l’esthétique de l’apparition à l’esthétique de la disparition [3]. Dans le premier cas, les idées de pictème, de pictosphère et de notation, frayent avec une attitude de "combattant". Il s’agit d’affirmer un territoire (un terrier), de définir une autorité et de figer le mouvement dans une matière persistante. Dans le second, elles n’ont pas pour fonction de délimiter quelque périmètre ; elles chutent dans l’enchevêtrement, elles décentrent l’attention, et ne pourraient gagner le monde que dans la faiblesse [4]


#Pictème #Pictosphère #JetdImaginance

Notes

[1] Thom R., entretien réalisé par Laurence Louppe, "Partition du vivant", in Danses tracées, pp 84-86

[2] Au sujet de ces discussions voir Arthur Danto, La transfiguration du banal et Michel Baxandall, Les formes de l’intention

[3] Voir Paul Virilio, "L’espace in gravitaire", in Laurence Louppe, Danses tracées

[4] Bram van Veld, cité par Daniel Dobbels, "l’espace Gravitaire", entretien ave Paul Virilio, in Laurence Louppe, Danses tracées, p. 68.

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