Attia Bousbaa
Impressions et premiers souvenirs en France.
Premier jour :
Premières impressions en arrivant en France il y a longtemps : je me suis trouvé à l’aérogare des Invalides en arrivant d’Orly avec un bus Air France, et je n’arrivais pas à joindre ma future famille française par téléphone qui sonnait bizarrement. Aussi, je me suis mis à aborder les Français : « Excuse me, do you speak English ? » Et tous ces Français qui s’éloignaient et foutaient le camp dans tous les sens pour m’éviter comme la peste, je me suis dit ils sont un peu bizarres ces gens. J’étais pourtant propre sur moi, mais je devais faire très Arabe !
Finalement j’ai abordé un Noir : « Do you speak English ? » Il a répondu : « I only speak English, I am American », et il m’a expliqué qu’il faut attendre un peu après avoir fait le numéro pour que ça sonne normalement — après un temps de didididididi à l’époque.
Plus tard, je me rends compte que tous les cafés, bistrots, brasseries et restaurants se remplissent, je me suis dit : ah les pauvres Français, ils n’ont pas l’air d’avoir un chez eux ni famille, ils mangent tous dehors — il n’y avait pas de restaurants en Libye — en tout cas, je n’en jamais vu un, on mange « a casa » chez moi.
Je m’installe sur une terrasse pour manger, et on m’apporte quelque chose appelé Mimosa quelque chose ; je fouine dedans en me demandant ce que ça peut être, à la recherche d’une côte de porc bien planquée que je ne pouvais manger, et je me rends compte que c’est simplement un oeuf dur décoré avec le jaune, je me suis dit qu’ils sont très sophistiqués ces Français.
Et la première fois où j’entre dans une mairie pour mes papiers, je remarque dans le hall un panneau avec en grand un texte : « Nous vous prions de ne pas jeter de riz dans l’ascenseur », je me suis dit qu’ils ne sont pas bien du tout ces Français ! J’ignorais alors qu’on balance du riz pendant les cérémonies de mariage.
Souvenir 1
CIA & moi :
Pour ma première rentrée universitaire en France, au début des années 70, je suis allé à Paris VIII ou Fac. de Vincennes, la seule à laquelle je pouvais encore m’inscrire à mon arrivée ; et cela a marqué ma vie et l’a changée à jamais aussi.
Paris VIII avait été fondée, dans le sillage de l’après-mai 68, par les plus grands intellectuels français et étrangers qui y donnaient des cours, certains, pour ne pas dire tous, à titre gratuit. Je ne parlais pas le français ou si peu, et je n’avais pas la moindre idée à l’époque de la culture ou de la civilisation française, mais j’entendais les étudiants — qui étaient tous pour moi d’une très grande qualité humaine, qu’ils soient français ou étrangers — parler de Hélène Cixous, Gilles Deleuze, Michel Foucault, Jean-François Lyotard, Frank Popper, John Lyons, Noam Chomsky, Julia Kristeva, des noms qui m’étaient totalement inconnus.
Paris VIII était aussi radicalement communiste et maoïste.
Comme mon français était limité, j’avais choisi huit UV (unités de valeurs, crédits de cursus ), quatre obligatoires, et quatre libres.
Parmi les quatre libres, j’avais pris une UV de poésie anglaise, américaine et anglo-saxonne. Comme on était peu nombreux, la professeur, Mlle Allen, une Américaine, a proposé qu’on se retrouve chez elle, rue Saint-Julien-Le-Pauvre à Saint-Michel, pour ne pas courir jusqu’à Vincennes : métro, bus, marche.
Elle avait un très grand appartement, et j’avais remarqué, lorsqu’on était dans son living pour le cours, des messieurs bien habillés, attaché-case à la main, qui entraient et sortaient de chez elle au bout du couloir ; et je me demandais qui ils pouvaient être.
Un jour, en arrivant à la fac en matinée, j’ai vu des graffitis sur tous les murs :
« Mlle Allen est un agent de la CIA » — signé PCF (Parti communiste français).
On n’a plus jamais revu Mlle Allen.
Comme je l’avais écrit plus haut, Paris VIII m’a marqué, a façonné ma pensée, structuré mes principes et mes valeurs, et j’y ai appris l’humilité pour commencer.
Souvenir 2
_Nasser et le Roi de Libye :
Mon premier job d’étudiant comme groom dans un hôtel 4 étoiles, Queen Elisabeth, av. Pierre Premier de Serbie. J’étais toujours debout à côté du concierge, un vrai croque-mort sinistre. Un matin il s’absente, le téléphone sur le comptoir n’arrêtait pas de sonner, et j’ai fini par répondre. Une voix courtoise me dit : soyez gentil, faites monter le PD ! J’étais complètement déstabilisée, mais j’ai répondu : bien Monsieur.
Lorsque le concierge revient je lui dis, terrorisé : « La chambre 22 demande le PD ! Le croque-mort me répond : « C’est Petit-Déjeuner » ! Première abréviation en Français !
La chambre 22 était habitée par l’ancien ministre des finances du roi Farouk, un Juif, qui vivait dans ce 4 étoiles depuis des décennies, et depuis sa fuite d’Egypte à l’arrivée de Nasser, avec l’argent que lui a donné le roi Idriss de Libye pour son exil, car lui aussi a aidé le roi pendant son exil en Egypte.
Souvenir 3
Les affaires étrangères :
Je me souviens avoir reçu une lettre très officielle avec l’en-tête du ministère des affaires étrangères pour une invitation à un apéro dans un quartier chic de Paris, et la lettre se termine avant la signature avec cette phrase manuscrite : « Ne venez pas tous en même temps ! » J’ai paniqué, ne connaissant pas le signataire, et j’ai eu peur pour mon installation en France.
J’ai apporté la lettre à l’assistante sociale qui s’occupait de mon dossier de demande d’asile politique. Après un après-midi d’enquête, elle m’a appelé : la lettre vient de la part d’un de vos futurs professeurs de Paris VIII qui invite chez lui sa classe pas très nombreuse pour faire connaissance, il a utilisé le papier à lettres et l’enveloppe du ministère des affaires étrangères parce qu’il y travaille aussi ; il vous demande à tous de ne pas arriver en même temps car son appartement n’est pas très grand !
Souvenir 4
Asile Politique :
Lorsqu’on demande l’asile politique, en attendant la réponse on vous prend tous vos papiers et documents, carte d’identité, passeport, etc, et on vous fournit un récépissé et un Document de Voyage qui n’es pas un passeport, mais qui vous permet de voyager dans certains pays signataires de la convention de Genève de 1951. Donc, lorsque c’était mon cas, j’ai décidé d’aller visiter toute l’Angleterre en auto-stop et c’est ce que j’ai fait, et tout s’est bien passé, sauf que, sauf que... en arrivant à Orly pour rentrer « chez moi » en France, la police de l’aéroport m’a dit : « Monsieur, VOUS NE POUVEZ PAS ENTRER EN FRANCE, les dates sur vos papiers français sont dépassées, périmées. » « Mais j’habite en France, j’attends l’obtention de l’asile politique ! » ai-je dit aux policiers, aux douaniers et aux militaires. Les policiers m’ont fait clairement comprendre qu’il n’y avait absolument aucun moyen pour moi d’entrer en France, d’aller voir ailleurs si la France n’y était pas, en Angleterre par exemple ou, pourquoi pas, en Libye où Qaddafi serait content de me récupérer. Et me voilà à déambuler et â traîner dans les couloirs d’Orly, ne sachant quoi faire, mais je remarque une porte avec cette précision : « Personnel naviguant uniquement ». Je la pousse et je vois un escalier que je descends et je me trouve dans un parking et un escalier direct pour la Nationale 7. Je fais 28 KM à pied pour rentrer chez moi, et pendant des mois et des années j’étais tétanisé à chaque fois j’entendais les sirènes des voitures de police dans mon quartier, car je pensais qu’on venait me chercher.
PS : Comme la convention de Genève interdit l’expulsion d’un demandeur d’asile chez lui sauf s’il est prouvé qu’il ne risque pas sa vie, ce qui est impossible, donc on ne pouvais pas m’expulser et j’aurais pu passer des années bloqué à Orly comme l’histoire vraie qui se déroula en France, celle de l’Iranien Mehran Karimi Nasseri, demandeur d’asile, qui vécut d’août 1988 à juillet 2006 (durant 18 ans !) dans le Terminal 1 de l’aéroport Roissy-CDG — il a fini fou.
Souvenir 5
Les Services Secrets Français :
En 1990 je décide, après mûre réflexion, de demander la nationalité française étant donné que j’aimais ce pays et sa population, son histoire et ses valeurs — ça vaut pour le présent également ; et aussi parce que j’étais persuadé que j’allais y finir mes vieux jours et probablement y mourir. Démarches et demande faites, enquêtes de famille, d’entourage, de voisinage, de relationnel, etc. par la police.
Un jour je reçois une convocation à une adresse de bureau limite septième et quinzième arrondissements. J’y vais un frais matin, propre sur moi, costume trois pièces et chapeau en feutre, et surtout l’esprit tranquille. Je me présente à l’accueil, on me fait attendre dans le salon du hall, et je suis rapidement rejoint par deux messieurs en civil, badges au cœur, qui me demandent de les suivre après m’avoir mis un badge aussi. Je les suis et je remarque qu’ils ouvrent avec des cartes magnétiques des portes métalliques coulissantes hermétiques, et je me trouve dans une pièce digne d’une salle d’interrogatoire avant la perestroïka — elle doit exister sous Poutine.
L’un des deux s’installe à une table et me demande de m’asseoir en face, le deuxième s’assoit à côté sur une chaise avec un carnet à la main. Celui d’en face se met à parler, poser des questions, et l’autre notait. Au bout d’un bon moment, long, il me demande :
« Vous savez où vous êtes ici ? Vous savez ce qu’on vous demande depuis un moment ? J’ai répondu : non, et non. Il m’a dit : « Vous êtes aux Services Secrets Français, et ce qu’on essaye de vous demander, c’est de travailler pour nous comme agent dans les milieux arabo-musulmans à Paris, et on donnera un avis favorable à votre demande de citoyenneté française. »
Vous me connaissez : je suis plutôt calme et gentil, mais lorsque je suis poussé à bout, je suis capable de démolir Schwarzenegger. Je me lève en poussant la table avec violence et en hurlant : « Non, mais vous êtes malades ; de plus, pauvres cons, je ne connais ni Arabes ni Musulmans, je suis dans le milieu de l’art contemporain, et il n’y en a pas ! Laissez-moi partir ! » Ce qu’ils font.
À l’atelier, je me bourre de Lexomil et je me couche. Au milieu de l’après-midi, je constate que les deux officiers du matin étaient devant ma vitrine essayant de voir à l’intérieur, je fonce, j’ouvre et je gueule : « Foutez le camp d’ici ou je vous jure je vous casse la gueule quitte à passer six mois à Fresnes. » « Calmez-vous Monsieur, on est venu s’excuser, on a vu que vous étiez retourné ce matin, on fait ça pour toute demande de nationalité française quelle que soit la nationalité du demandeur, quelquefois ça marche, quelquefois ça ne marche pas. Toujours est-il qu’on a donné un avis favorable à votre demande. »
J’étais bien obligé de me calmer et de dire merci, mais... Celui qui a l’air d’être le chef dit :
« Juste une question : lors de l’entretien vous avez dit que lorsque vous allez dans les manifestations pro-palestiniennes, l’officier qui s’occupe à la Préfecture de votre dossier d’asile politique y joue le militant. Quel est son nom ? » J’ai répondu : « Écoutez, je ne connais pas son nom, mais je suis sûr que grâce à mon dossier à la Préfecture, vous le trouverez, mais pourquoi cette question ? »
« De par son statut, il n’a rien à faire dans une manifestation palestinienne », a-t-il déclaré.
Je suppose qu’ils l’ont localisé.
Liens entre la France et la Libye :
• Les colonnes placées de part et d’autre de la statue de la Vierge dans l’église St-Sulpice à Paris sont antiques. Ces hautes colonnes de marbre viennent des ruines de la ville romaine de Leptis Magna en Libye qui avait été reconstruite par Septime Sévère. Après le bombardement de Tripoli en 1685 pour combattre la piraterie barbaresque en Méditerranée, Louis XIV exigea le paiement d’une forte rançon. Le pacha de Tripoli proposa de la payer avec le marbre des ruines de Leptis Magna. Deux traités ont été signés entre le roi de France et le pacha de Tripoli, en 1693 et 1720. Tous les deux prévoient que « le roi se réserve de prendre à Leptis et dans tout lieu de la régence les colonnes dont il aurait besoin ». Le consul de France nommé par provisions du 14 juillet 1685 à Tripoli, Claude Le Maire, partit à Leptis Magna pour choisir des colonnes de marbre qui pourraient servir dans la construction du château de Versailles. Au total, il en a prélevé près de 300 envoyées à Toulon, en 1688 et 1690. Elles ont été déposées sur un quai de la Seine, près du Louvre, et ont été utilisées pour diverses constructions. Le curé Languet s’en fit attribuer six qui ont été mises en place dans la chapelle en 1742. L’église St. Sulpice était dédiée à Sulpice le Pieux, archevêque de Bourges dans le Berry.
• Savez-vous qu’à la porte d’Orléans, si tu montes les marches vers la statue du général Leclerc, tu vas te trouver devant un texte sculpté au sol. Cela s’appelle Le Serment de Koufra. Figure-toi que le général Leclerc était chez moi en Libye pendant la guerre, à Koufra précisément, une oasis au sud est. Et qu’à l’issue de la bataille, le 2 mars 1941, le colonel Philippe Leclerc, à l’époque, prête avec ses hommes le « serment de Koufra » :
« Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. »
Ils tiendront ce serment en libérant Strasbourg le 23 novembre 1944 à la tête de la 2e division blindée.
Et lorsqu’il arrive pour libérer Paris, c’est par la porte d’Orléans qui s’appelle depuis : La place du serment de Koufra.
• Savez-vous aussi qu’un bon Français, un géologue, a été le premier à savoir qu’il y avait du pétrole en Libye, qu’il a essayé d’informer la gouvernement français pour s’y intéresser, mais que personne ne l’a écouté. On a fini par le trouver pendu dans une chambre d’hôtel en Auvergne. On a toujours pensé qu’il avait été étouffé par les services secrets américains et anglais, puisque l’Amérique et l’Angleterre ont partagé le pétrole libyen, et n’ont donné à la France qu’une zone d’influence désertique au sud-ouest, Le Fezzan.
• Savez-vous que le 1er septembre 1969, ma ville natale, Benghazi, était à feu et à sang à cause de la révolution — ou le coup d’Etat — de Kaddafi, et qu’en rentrant chez moi en courant je suis tombé sur un Français qui tirait avec son fusil de chasse sur les pigeons libyens. Je lui ai dit de rentrer chez lui fissa, mais je ne sais pas s’il m’a écouté.
• Savez-vous que lorsque je vivais encore à Benghazi j’ai donné mon chien à un couple de Français qui travaillait à la télévision libyenne. Et devinez quoi ? Des années plus tard, je m’installe au fin fond du Berry, et je tombe sur le même couple avec enfant cette fois, et avec mon chien. Étonnant, non ? Il travaillait à l’émetteur de télévision pour le Berry.
• Savez-vous qu’à mon arrivée en France, avant de visiter Paris, j’ai visité Fontainebleau où j’ai mangé mon premier couscous. J’etait scié ce jour-là ne sachant pas que le "couscous était plus répandu en France que la blanquette de veau". On dirait un slogan FN, vous ne trouvez pas ? Je devrai breveter.
• Savez-vous qu’il y a beaucoup d’années je me suis trouvé dans une petite ville médiévale dans le Sud-Ouest de la France, Najac, et j’ai vite constaté que les plaques de bouches d’égouts étaient gravées en Arabe classique. Intrigué, je me suis présenté à la mairie demander pourquoi. Monsieur le maire m’a expliqué que c’était une commande Pont-à-Mousson qui n’a jamais été livrée et qui était destinée à Benghazi, ma ville natale.