Chère Paulette,
J’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous écrire à l’aide d’une machine. Je n’ai presque plus l’habitude d’utiliser le stylo et mon écriture manuscrite est devenue maladroite. Vous avez trouvé, joint à cette lettre, un morceau de bois peint. Avec un peu d’attention vous repérerez un mot inscrit sur sa surface.
Vous m’aviez dit préférer comme couleur le vert et, plus précisément, celui des arbres. J’ai essayé de trouver une teinte qui se rapproche de ce que cela évoque pour moi. Je ne voulais pas d’une couleur trop sombre. Il se peut qu’elle ne vous convienne pas. Si c’est le cas recouvrez la par une autre. J’ai choisi une peinture satinée pour que son aspect soit doux. On voit également les traces du pinceau. Comme il n’y a pas de cadre un peu de poussière se déposera. Mais vous pouvez laver la surface à l’aide d’une éponge et d’un nettoyant ménager doux.
Le support est en bois. Peut-être pour se rappeler que le vert qu’il supporte est celui des arbres. C’est surtout en pensant aux icônes que j’ai choisi ce matériau. Avec le temps le bois va travailler, craqueler et rider la peinture. Je n’ai pas peint les tranches pour que l’on perçoive bien que la peinture est plate. L’épaisseur du bois accuse cet aspect. Il y a un trou au dos pour accrocher le panneau si vous le souhaitez. Un petit clou planté dans le mur suffira amplement.
Vous aviez choisi le verbe voir pour caractériser ce qui vous importe pour les années à venir. Pris dans l’épaisseur de la peinture le mot est à peine visible, mais il est pourtant placé en son centre.
Ce petit panneau est pour vous. Vous en disposez comme il vous convient. Il témoigne de notre rencontre. Il n’est pas prévu que le public de l’exposition puisse le voir. Vous ne devez donc pas être dérangée à ce sujet. Mais vous pouvez bien sûr le montrer à qui vous souhaitez.
Retranscription d’un entretien radiophonique avec Paulette ; document enregistré
X : Monsieur Le François m’a dit que ce n’étais pas grave si vous l’aviez donné, que c’était très bien.
PAULETTE : Et bien c’est-à-dire que je voulais faire participer mon fils de l’envoi que j’avais reçu, et je lui avais demandé qu’il m’apporte un clou pour pouvoir le fixer.
X : Est-ce que vous pourriez nous décrire cette œuvre que vous aviez ?
PAULETTE : D’abord ça m’a surpris. Il m’avait questionnée sur les couleurs que j’aimais. Alors je lui avais dit que j’aimais bien le vert parce que c’était reposant, et puis ça représentait les arbres, la campagne. Et puis alors il m’a demandé à quoi je tenais le plus et bien c’était la vue et le psychisme. Alors en effet j’ai retrouvé dans le satiné de la petite plaquette le mot "vue". Et la lettre de Monsieur Le François… Il m’avait montré également sa petite famille, ce qui m’avait surpris parce que vous savez je suis une obscure, moi à côté… Disons que de mon côté on fait du bricolage en somme, ça n’a rien à voir avec la peinture contemporaine.
X : Ça a été une surprise, et vous le disiez, une certaine joie.
PAULETTE : Oui ! Parce que je ne connaissais pas du tout ! J’en avais même pas idée !
X : L’important que vous disiez également, comme Monsieur Le François, c’est que finalement cette œuvre continue de voyager, de passer de main en main, d’avoir des histoire différentes.
PAULETTE : Mon fils étant venu, je lui ai remis, pour la faire voir à sa femme, et je lui avais dit tu m’apporteras un clou pour la fixer parce que ici vous voyez on a rien.
X : Aujourd’hui cette œuvre continue de vivre…
PAULETTE : Je pense que lui-même va la montrer, comme il est en retraite il va certainement la montrer à des amis, à son fils.
X : Aujourd’hui cela vous a ouvert l’esprit sur l’art contemporain, cela vous a rendu plus curieuse ?
PAULETTE : Et oui parce je ne connaissais pas du tout, je n’avais pas idée de ce que c’était !
X : Une découverte ?
PAULETTE : Oui, une découverte ! A 85 ans…
Rires
Description
Titre : Lettre à Paulette
Réalisé en 1997
Artistes contemporains en l’abbaye Saint-Jean de Sens, ancien hôpital, du 5 septembre au 5 octobre, événement organisé par l’association Biennicl’art.
Catalogue